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La double peine des détenu.e.s étranger.e.s au Pérou

Note : Les détenus français que j’ai rencontré étant tous de sexe masculin, cet article n’est pas en langue inclusive, sauf le titre, puisque qu’il traite d’une situation plus globale.

Contexte de ma première visite dans la prison de Sarita Colonia

En 2013, je me suis rendue dans deux prisons d’Amérique latine pour rencontrer des détenu.e.s étranger.e.s et y mener un projet photographique. Cet article est le récit de ma visite dans une prison péruvienne ou je raconte la découverte de la prison de Sarita Colonia, située dans le district de Callao, à quelques kilomètres de Lima.

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Obtenir une autorisation de photographier

Après les difficultés éprouvées en Bolivie pour obtenir une autorisation officielle, j’ai préféré contacter une « fixer » au Pérou afin d’accélérer le traitement de ma demande auprès de l’administration pénitentiaire. Après plusieurs intermédiaires, j’ai été orientée vers Virginie, une française qui travaille au Pérou depuis de nombreuses années et qui avait déjà coordonné un programme de l’Alliance Française en lien avec certain.e.s détenu.e.s. [Note: la femme que vous voyez sur la photo n’est pas Virginie]

Prison en Amérique latine
Crédits photo : Armelle Peuvion-Weiss

Une visite officielle sous surveillance

Je me suis rendue à deux reprises dans la prison de Sarita Colonia, située à quelques kilomètres de la capitale. Ma première visite étant officielle, je fus accompagnée par une représentante de l’Institut national pénitencier péruvien (INPE) et du directeur de la prison. Ce dernier avait demandé à ce que l’on aménage un coin tranquille dans l’une des cours de la prison qui comptait pour seul décor une table et six chaises. On remerciera le charmant monsieur pour la mise en scène. Au niveau du formalisme administratif, tous les détenus ont dû signer un papier indiquant qu’ils acceptaient de s’entretenir avec moi.

La rencontre

Lors de cette rencontre avec les détenus, le directeur de l’établissement et la représentante de l’INPE sont restés à quelques mètres de nous, surveillant nos moindres faits et gestes. Ils attendaient surtout le moment ou j’allais commencer à prendre des clichés car tout l’enjeu d’une visite officielle assortie d’une autorisation de photographier se trouvait là : sur ce que j’aurais la possibilité d’immortaliser ou non, et cette option devait être sous contrôle. Peut-être aussi – étant seule avec cinq hommes détenus – voulaient-ils s’assurer de ma sécurité.

Atmosphère et incompréhensions

Il régnait une atmosphère étrange lors de cette première visite. Le genre de truc vraiment pas très chaleureux. Les détenus n’ont pas compris tout de suite le sens de ma démarche et le contact fut plus compliqué à établir que lors de ma visite à La Palmasola, en Bolivie. Pour ma part, le fait de n’avoir que deux heures pour photographier l’enceinte d’une cour déserte ou seuls des draps pendaient m’irritait un peu. J’aurais aimé avoir plus de temps avec les détenus qui ne comprirent pas tout à fait le sens de ma démarche. Avoir la possibilité de les voir en amont m’aurait permis de réaliser avec eux un travail collaboratif plus personnel. Au lieu de cela, mes clichés ne résument donc que ce que l’on m’a bien laissé la peine de voir de cette prison : une cour vide, des détenus assis autour d’une table, un directeur et une représentante de l’INPE…

Seconde visite sans appareil photo

Lors de ma seconde visite – non officielle – j’ai dû patienter dans la cola [la file d’attente] pendant une heure avec les autres femmes. En discutant un peu avec certaines, plusieurs d’entre elles m’ont fait remarquer que nous devions porter des robes (ou des jupes) et des sandales (ou des tongs) pour avoir accès à la prison. Un business s’est d’ailleurs créé autour de cela puisque de nombreux stands installés devant la prison proposent des locations de sandales et de jupes pour quelques soles [monnaie péruvienne]. J’ai donc fait appel à leur service tout en étant irritée de devoir me soumettre à ce genre d’étrange discipline, exclusivement réservée aux visiteuses. [Les hommes rendant visite aux prisonnier.e.s pouvant s’habiller comme ils le souhaitent.] 

Des conditions de détention rudimentaires

Une fois à l’intérieur, je me suis dirigée vers le pavillon où sont incarcérés trois des cinq détenus que j’avais rencontrés lors de ma première visite. Leur pavillon n’a rien à voir avec La Palmasola. Il s’agit ici d’un bâtiment carré et fermé qui accueille une grande salle de « convivialité » assez opaque. Compte tenu du nombre de détenus, cet espace semble très réduit et assez oppressant. Tout autour se trouvent les « chambres » des détenus qu’ils partagent – quand ils ont les ressources nécessaires pour payer [Un lit coute en moyenne entre 1000 et 2000 dollars] – à deux ou trois. Tous les autres, c’est-à-dire la majorité des détenus, dorment par terre, le long des couloirs. Sur les trois détenus français de ce pavillon, deux d’entre eux dorment à même le sol tous les soirs.

Rapports aux corps, femmes et prison

Les jours de visite des femmes, les rideaux se ferment dans les « chambres » car l’heure est aux moments intimes : retrouvailles entre époux ou simple passe. L’obligation de porter une robe est d’ailleurs très probablement liée à la sexualité des détenus. Le rapport au corps est en effet un sujet récurrent chez les prisonniers – en particulier chez les plus jeunes -, la frustration étant décuplée dans cet univers exclusivement masculin et coupé de tout lien physique avec leurs proches. On peut d’ailleurs souligner le fait que les hommes peuvent bénéficier des « services » de prostituées alors qu’il est certain que les femmes détenues n’ont pas la possibilité d’obtenir les mêmes faveurs.

Prison au Pérou à Callao
Crédits photo : Armelle Peuvion-Weiss

De la confiance en la justice

Avec quelques détenus, nous nous sommes ensuite assis dans l’espace commun qui accueille plusieurs tables et chaises, une télévision, la douche, quelques petits « stands » de nourriture et boissons ainsi qu’un nombre trop important de détenus pour une telle superficie. Ils ont évoqué de concert plusieurs choses qui relèvent, au final, d’un sentiment d’impuissance. Ils ont été jugés mais ne savent pas précisément quand ils vont pouvoir sortir. Ils ne peuvent pas forcément prendre en charge financièrement leur nourriture, leur hébergement et ne peuvent pas toujours faire confiance à leurs avocats. Certains d’entre eux en demandent toujours plus aux détenus étrangers, partant parfois avec l’argent avant la libération de leurs clients.

Crédits photo : Armelle Peuvion-Weiss

Privation de liberté et peine géographique

Les détenus étrangers sont contraints à des liens exclusivement téléphoniques avec leurs proches, ne bénéficient pas toujours de projets de formation pour leur sortie et doivent prouver qu’ils obtenu un logement et un travail pour que leur dossier de remise en liberté soit validé. Ils ne sont pas forcément acceptés par les détenus locaux qui ne comprennent pas pourquoi une personne venant d’un pays dit riche prend le risque, en faisant passer de la drogue, d’aller en prison. Rejet paradoxal, car au final, les détenus français et étrangers sont des personnes qui – pour la plupart – ne bénéficiaient pas d’un capital économique très élevé dans leur pays d’origine et ont été encore plus précarisés avec la crise de 2008. Il s’avère donc, à l’instar de nombreux autres pays, que les prisons de Bolivie et du Pérou deviennent de potentiels viviers de recrutement pour les filières parallèles et ne restent souvent qu’un instrument punitif sans projet de réinsertion pour les détenus.

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