Un trek de Pokhara aux sommets*
Le Népal a toujours été un pays fascinant et cela même avant l’ouverture de ses frontières aux étranger.e.s dans les années 1950. Ce pays est fait pour tout le monde : Les aventurier.e.s qui souhaitent escalader les plus hauts sommets, les vacancier.e.s du dimanche qui veulent se lancer un petit défi tous les 10 ans (en faisant un trek par exemple), ceulles qui préfèrent faire du canoë, sauter à l’élastique, visiter des temples et des stupas ou simplement ne rien faire à part admirer les sommets enneigés en buvant une bière fraîche sur l’une des terrasses de Pokhara.
* En ce qui me concerne, à plus de 5300 mètres, je considère déjà que ce sont des sommets, même si pour le pays, c’est du pipi de chat ! 🙂
Demain, je pars au front. C’est décidé, je me lance dans cette vaste quête spirituelle et sportive, théoriquement ruineuse (sauf au Népal ou l’exploitation humaine est d’une rentabilité sans faille) qui vous pousse à parcourir à pied et cela pendant plusieurs heures un chemin pentu, rocailleux que seule la déraison vous permet d’apprécier !
Le début du trek
Demain, je pars au front. Je vais pendant plusieurs jours effectuer ce que les plus expérimenté.e.s appellent un trek. Ce truc d’occidental très en vogue dans les milieux montagnards brumeux et chez les parisien.ne.s nanti.e.s. Moi la fille des plaines, sachant apprécier les reflets d’un coucher de soleil sur une mer calme et le charme des collines lorsqu’elles m’inspirent confiance, comment ai-je pu à ce point vendre mon âme au diable ?
Première journée
Le 1er jour, l’air était doux, l’humeur chantante et l’envie grandissante : L’espace temps d’une demi-heure, dans mon lit, avant de partir pour le front. Arrivée fracassante au début du parcours. Ma montre ne ment jamais, il est bien 7h30. Mes yeux ne me trahissent jamais, il y a bien une centaine de marches qui se perdent sur la colline. Mes genoux ne fléchissent jamais, c’est dommage.
Au bout de quatre vingt dix minutes de montée abrupte, il était devenu évident que ce choix était l’un des moins avisés de mon existence et j’ai donc pu réfléchir à toutes les options qui s’offraient à moi :
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- Coller trois beignes à la prochaine connasse de brebis qui passe. (Inutile et coûteux pour mes poignets)
- Simuler un évanouissement convaincant (Simplement inutile)
- Jouer franc-jeu avec le guide : un bakchich et on n’en parle plus. (Une « garantie-bière», 2h plus tard)
- Souffrir en comptant minutes, heures et poils sur les jambes. (Témoigne d’un manque certain de discernement)
Les gens du trek
O Mal nous en prend, nous autres pauvres humain.e.s en quête d’enrichissement, qui pour trouver le chemin, doivent affronter les pires tourments ! Oui, j’en ai chié. Comme un taulard en cavale, une bimbo sans ses implants ou un juif dans un atelier à cochonade. Mais attention le trek, ce n’est pas que douleur(s) et châtiment(s) pour votre corps, c’est aussi un espace infesté de visages pâles aux allures de bonhomme Michelin avec leur doudoune quatre en un, qui toutes réunies, représenteraient à peu de choses près, le PIB du pays.
Ces aventurier.e.s aux pas lourds et à la démarche gracieuse de « grands félins indomptables » sillonnent, eux /elles aussi, pendant plusieurs jours, cette zone protégée de l’Annapurna. C’est d’ailleurs en rencontrant un groupe de Français.e.s certifié.e.s « Montagnes de France » que j’eus cette réflexion hautement philosophique sur la vie, les humain.e.s et leur terroir. C’est un fait : Les montagnard.e.s à la montagne peuvent être largement aussi prétentieux/ses (dans un autre genre) qu’un.e parisien.ne évoluant dans « sa » capitale.
Ce groupe d’amis (exclusivement masculins) ne partaient que 15 jours mais dans leur sac, on pouvait y habiller le « Tout Versailles poudré » en partance pour une évasion champêtre. Et vas-y que je te colle du Millet, du Patagonia, du Goretex en veux tu, en voilà… Du Quechua ? pfff, la honte. Ces braqueurs du Vieux Campeur me proposèrent tout de même gentiment du jambon de pays, un alcool fort et du Comté. (J’ai suggéré du Beaufort mais je n’ai pas insisté, je ne voulais pas faire ma parisienne..).
Mon guide lors du trek
Alors que les Montagnards me narraient leurs exploits sportifs passés sur les terres népalaises, je regardais Deu*, guide de profession dans la vie civile et appartenant à la classe des intouchables (sans droits et exerçants les sales besognes). Dès son plus jeune âge, il a exercé le métier de porteur et cela faisait 10 ans qu’il était guide. Sa naissance ne lui donnant pas la possibilité d’exercer cette profession, cela faisait autant d’années qu’il cachait sa véritable identité. Peut-être n’était-ce qu’un discours larmoyant afin d’émouvoir le petit porte monnaie sur pattes que j’étais censé incarner et ainsi récolter plus de pourboire à la fin du séjour. Peut-être pas.
Le nom d’un.e Népalais.e donne beaucoup d’infos sur sa personne, notamment sa caste, sa profession, son groupe ethnique et l’endroit ou il/elle vit
Au loin, des pierres, des marches, indéfinissables par leur aspect, répréhensibles pour leur inconfort. Sur les 7h de trajet, au moins 5h sont consacrées à la montée. Autant dire que vos jambes se transforment en pylônes et que votre cortex se met sous tension plus rapidement qu’à son habitude. Réveil à 5h du mat. La routine s’installe. Enfin si on peut dire. Une longue étape qui va m’anéantir définitivement et amorcer le processus de l’être sans être : La lobotomisation est en marche.
Pour couronner le tableau, une sangsue rescapée de l’après-mousson s’est réfugiée sous ma chaussette et on a failli dormir dans la pièce commune du refuge, faute de place dans un dortoir. Deu, lui, dû dormir dans une pièce insalubre avec les autres guides et porteurs, alcooliques et bruyants, selon ses dires.
Les joies du dortoir pendant le trek
Dans la chambre aménagée en dortoir, un Japonais, un couple d’ « âge vert » d’Israël et un couple canadien d’ « âge mûr » seront mes compagnons de fortune de la nuit. Apres la parlotte traditionnelle et les 10 thés pour se réchauffer dans la salle à manger, arrive le moment fatidique du coucher. A 20h30, nous voilà tout.e.s emmitouflé.e.s dans nos sacs de couchage, prêt.e.s à lancer la machine à rêves quand soudain à 20h40 : Ouverture brutale de la porte de la chambre par une main glacée, suivie d’un petit cri plaintif témoignant de la froideur du dehors. Il est toujours difficile de savoir à quelle heure aura lieu le dernier pipi avant d’aller dormir et il est encore plus difficile de le dissimuler à 5 autres camarades de galère.
Impossible de fermer l’œil jusqu’à minuit mais étrangement, aucun ronflement non plus. Nous étions plusieurs à chercher le sommeil cette nuit là jusqu’au moment ou certaines flatulences sont allées bon train du côté de l’âge mur. Je soupçonne gravement le Canadien mais le lendemain, tout le monde était potentiellement suspect.e. Nuit glaciale. Réveil très matinal. Harassante journée pour grimper jusqu’au Camp.
La montée tue les cuisses, la descente extermine les genoux !
Toujours plus maligne que les autres, je continue à fumer à chaque pause, même à plus de 3000m. Ce que mon corps me fait bien comprendre et me fait donc amèrement regretter une fois ma dose de nicotine enfilée. Arrivée au refuge. Rebelote : Hutte remplie de porteurs bourrés et shootés au haschich pour Deu et dortoir pour moi. Cette nuit là reste une référence. Le match se joue entre le Canada et la Chine et un rat (Ou un truc qui ressemble bien à un rongeur, quelque chose qui bouffe et qui fait du bruit en somme) comme arbitre. A 19h, seul le rat était présent dans la chambre mais il commençait déjà à entamer vulgairement les paquets dégueulasses de bouffe d’un des Chinois. Je l’entendais mastiquer les crackers et dénicher – dans le sac plastique- les plus belles trouvailles de sa vie. J’assistais impuissante à ce massacre pacifique quand enfin les deux compères refirent surface.
Roulement de tambours, faites sonner les clochettes, enfin mes sauveurs sont arrivés, ils vont pouvoir évacuer de leur sac pullulant, ce petit être qui l’est tout autant. Finalement, ils ne firent rien pour stopper ce bruit continu de plastique perdant de sa substance. Apres leur déglutition, ils se mirent à la conquête des bras de Morphée. Avec succès, les salopards ! J’étais cuite et prisonnière entre les ronflements des deux pétrolettes maoïstes, Mickey bouffeur de crackers et la feuille d’érable qui allait probablement se pointer, lampe frontale droit devant, juste au moment ou j’allais trouver le sommeil.
Les toilettes pendant le trek
Ce qui devait arriver arriva, car finalement au Népal, cela arrive. Une porte grince et un gisement de lumière sort de la nuit pour terminer sa course sur mon crâne. Mes yeux s’ouvrent. Game over. Rentabilise donc, pensais-je. Direction les toilettes. Oui, mais vous réfléchissez quand même avant d’entreprendre ce genre de périple nocturne : Trouver sa lampe, son pantalon, ses tongs, son pq, son pull, l’obscurité n’aidant pas..,ouvrir le sac de couchage (glagla), s’habiller sans réveiller tout le monde, sortir du dortoir, c’est à dire, affronter des températures négatives sans en avoir tellement envie et surtout regretter ses trop nombreux thés pris quelques heures avant. C’est aussi se mettre en position semi fléchie pour les dames en essayant de tenir plusieurs secondes en apnée pour éviter les odeurs multiples et variées que seul ce genre de lieu exigu parvient à retenir.
Les heures filent chez les autres alors que je rampe derrière chaque minute. Mais que fait-elle? Que fait-elle la cuvette standard occidentale ? Longtemps, je l’ai attendue mais elle n’est jamais venue, pourtant j’ai prié Om Mani Padme Hum pour qu’elle revienne. Oui, ma cuvette adorée, le souhait de te retrouver ne disparaîtra que sous le supplice. Retour au lit. Dodo. Résultat tant attendu du match cette nuit là : Défaite du Canada 3 flatulences à 2 face à une équipe de Chine impressionnante par son endurance. Parfois, au son mélodieux d’une musique attachante, je me surprends à croire que tout est possible, qu’un jour, j’aurai droit, moi aussi, de péter dans mes draps à ma convenance.
La fin d’un trek
Le huitième jour, il y a avait Pascal Duquenne et Daniel Auteuil et le 9eme jour, miracle : Le CO2 produit cette nuit là n’appartenait qu’à la France. Ode à la joie. Enfin, j ai retrouvé ma liberté, reine du temple de mes désirs, gardienne vénérée de mon royaume tout entier.. Moralité de cette histoire : Je trouve que les riches puent et je sais que les pauvres sentent, que les charcutier.e.s ont les yeux gras et les végétarien.ne.s les fesses glauques » Merci Pierre.
Pour ce petit récit, j’ai réutilisé un mail que j’avais envoyé à ma famille et à mes ami.e.s à l’époque, en 2009.
ATTENTION : Le pays a malheureusement subi deux séismes, le 25 avril et le 12 mai 2015, dans la Vallée de Katmandou et dans la région du Langtang, ce qui provoqua la mort de milliers de personnes ainsi que la destruction de sites historiques et de villages.